Watt’s new : pas d'électrification sans circularité
Derrière l’électrification de nos usages se cache tout un réseau d’infrastructures et de câbles amené à se développer comme jamais. Et cela ne pourra se faire sans circularité.
Forêt de pylônes : l’avenir énergétique et paysager des européens ? / Fré Sonneveld, Unsplash.
Nous avons eu l'honneur d'accueillir Xavier Piechaczyk, Président du directoire de RTE, Réseau de Transport d'Électricité, pour discuter de notre avenir énergétique. Dans cette newsletter, nous vous embarquons au cœur de la transition énergétique européenne et des enjeux de robustesse des trajectoires d’hyper-croissance à l’œuvre actuellement.
[💡 Edito] « Si le canal de Suez se bouche ? Mes pièces prendront l’avion »
✍️ par Grégory Richa, Directeur associé d’OPEO et cofondateur de Circular4Good
L’industrie n’est pas prête pour faire face à la mutation des chaînes de valeur actuellement en cours. Pour cela, elle va devoir prendre en main le problème de l’obsolescence de ses business models. Faire prendre l’avion à ses composants en cas de choc mondial ne suffira pas.
Face au dérèglement climatique, à la vulnérabilité toujours grandissante des supply chains et aux surcapacités de production des usines chinoises, les stratégies reposent encore trop sur l’hyper-croissance, la maximisation de la performance à court terme et l’intensification technologique.
Réduire de 30 % ses émissions de CO2 alors que les prévisions de croissance sont de 30 % sur la même période, cela ne fera pas l’affaire. Et si le verbe « renoncer » fait peur, il s’applique pour l’instant plus au renoncement d’ambitions environnementales pourtant salutaires : l’Écosse vient par exemple d’abandonner ses objectifs de décarbonation à 2030 et l’Europe sa volonté de sortir du glyphosate.
Et pourtant, il va bien falloir que chaque industriel apprenne à regarder ses chaînes de valeur de bout en bout, de l’extraction à la fin de vie, en passant par la production et l’usage. Oui, l’industrie va devoir faire différemment.
Crédits photo Nurphoto via l’AFP (cf. article du Monde)
Il n’y aura par exemple pas d’électromobilité sans circularité forte, au-delà du recyclage. Il n’y aura pas assez de matières premières pour faire basculer nos usages dans l’après-pétrole. Notre dépendance technologique est trop forte pour viser les voitures ultra-intelligentes. Et le coût très haut des véhicules électriques ne sera acceptable que si la durée de vie et les possibilités de réemploi / refurbishing sont décuplées. Enfin, l’empreinte environnementale d’une voiture électrique est trop lourde pour imaginer changer de voiture aussi fréquemment que maintenant. À quand la voiture modulaire, pour la vie ? À quand l’usage plutôt que la possession ? À quand la fin des voitures de plus de deux tonnes et les nouvelles formes de mobilité ?
Concevoir pour la circularité ; structurer de nouveaux marchés fondés non plus sur le neuf mais sur l’allongement de la durée de vie et sur l’usage ; repenser des chaînes de valeur de bout en bout pour opérer des boucles de réemploi et de réutilisation des produits et des composants ; situer la conception, la production et l’usage ; rendre plus robustes, plus petits et low tech les produits et reconnecter nos infrastructures au vivant ; renoncer aux modèles extractivistes et toxiques : c’est la seule voie pour espérer voir émerger une économie soutenable dans un monde soutenable.
C’est la seule voie pour qu’une entreprise soit robuste et puisse opérer au-delà de 2035.
L’utilisation de la prospective et du temps long pour penser le temps court, est l’un des leviers clés pour amorcer ce changement. Comme le montre Xavier Piechaczyk, notre invité sur Circular4Good et Président du Directoire de RTE, « ce qui compte, c'est finalement qu'on puisse garantir une forme de réemploi universel de notre propre infrastructure ». Belle promesse et « North Star » pour tirer l’innovation et le futur de chaque organisation.
[🎙️ Podcast] Lumières sur la transition énergétique avec Xavier Piechaczyk, Président de RTE
Allumer la lumière, chauffer notre maison, préparer un repas, ou écouter notre podcast favori – des plaisirs simples rendus possibles par une simple pression sur un interrupteur.
Mais derrière ce geste banal, se cache une réalité complexe. Un réseau d’ajustements incessants, d’infrastructures robustes et adaptables, et d’innovations techniques, souvent invisibles au citoyen lambda.
Un mal pour un bien, les impératifs écologiques et les tensions géopolitiques actuelles ont le mérite d’introduire la question critique de l’accès à l’énergie dans le débat public.
Car, à travers la question du verdissement de notre électricité, c’est aussi la question de la pérennité de son accès à tous les citoyens qui est posée.
C’est ici que le défi de la transition énergétique rencontre celui de l'économie circulaire. Une transition énergétique qui n’embrasserait pas pleinement une approche holistique risquerait d’être incomplète, car la durabilité et l’efficience des ressources s'avèrent aujourd’hui inévitables.
Dans l'intimité du studio de Circular4Good, Xavier Piechaczyk, Président du Directoire de RTE, vient décrypter les enjeux techniques, (géo)politiques, démocratiques, environnementaux, matériels, et socio-économiques de l’électrification de notre économie.
RTE, au cœur de la convergence énergie-industrie
Depuis l'été 2020, Xavier Piechaczyk dirige RTE, une entreprise de plus de 10 000 employés et qui génère plus de 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
Contrairement à ENEDIS, qui distribue l'électricité localement, RTE orchestre le transport d'énergie sur de longues distances pour alimenter l'industrie lourde à travers un réseau de haute et très haute tension.
Trois missions fondamentales animent RTE :
Éclairer le débat public sur l'énergie,
Entretenir et développer l'infrastructure de haute tension,
Assurer une sécurité d'approvisionnement sans faille.
En bref, RTE joue un rôle clé dans l'équilibre offre-demande d'électricité et dans la promotion de projets respectueux de l'environnement, pour que le courant ne cesse jamais de vous parvenir.
RTE gère 106 874 km de ligne sur les 1,6 millions de kilomètres du réseau national / Carte interactive du réseau national RTE
S'émanciper des énergies fossiles
« Notre premier combat, c'est celui de la neutralité carbone », explique notre invité. Or, « 63 % de notre mix énergétique repose encore sur les énergies fossiles », nous rappelle-t-il.
Dans un contexte d'urgence climatique, il est capital de diminuer notre dépendance aux combustibles fossiles. Un préalable indispensable pour atteindre les objectifs de neutralité carbone et d'autonomie énergétique de la France.
Mais l'équation est complexe : comment garantir la neutralité carbone tout en assurant un accès universel à l'électricité ?
Pour y parvenir, la France et l’UE doivent remanier leur consommation d’énergie. Ont-elles les arguments pour opérer leur transition énergétique suffisamment vite et, pourquoi pas, faire partie des pionnières en matière d’émissions net zéro ?
Réponse de notre invité, élégamment teintée d’une pointe de sarcasme : « Ceux qui gagneront cette compétition [...] seront ceux qui se seront préoccupés de cette question à temps. Je ne suis pas sûr que ce soit rentable sur le long terme d'être très en retard. »
Électrification massive et réindustrialisation stratégique
Pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, l’humanité ne pourra pas se contenter de réduire sa consommation d’énergie. Il lui faudra aussi produire une énergie qui minimise les émissions de CO2, en adoptant des modes de production décarbonés.
« On sait que pour être neutre en carbone, il faudra plus d'électricité puisque c'est le principal vecteur qui va venir se substituer à l'utilisation du pétrole et du gaz fossile. », prévoit Xavier Piechaczyk.
Selon l’expert, « la quête de la neutralité carbone passe par une électrification à grande échelle et responsable »,
Mais pour électrifier massivement un pays qui importe 40 % de son énergie, les Français devront accepter entre 20 et 40 % de linéaire supplémentaire dans le paysage. En clair, si nous voulons produire davantage d’électricité en France, nous devrons accepter plus d'infrastructures sous nos fenêtres.
Cette réindustrialisation stratégique, conforme aux objectifs de développement durable, sera « la contrepartie de la souveraineté que l'on veut aujourd'hui », prévient Xavier Piechaczyk.
La transition énergétique peut-elle ignorer l’industrie circulaire ?
Outre la production d'électricité, l’approche de RTE intègre une perspective circulaire sur le recyclage des matériaux. Pour Xavier Piechaczyk, l'économie circulaire est un élément critique, même si elle coûte plus chère aujourd'hui.
« Dans un monde où il y aura des tensions sur les matières premières, une des armes imparables pour l'Europe sera de se doter d'un écosystème d'économie circulaire », explique notre invité, avant de poursuivre : « Et c'est pour ça que votre émission est très intéressante. C'est parce qu'elle fait passer cette pédagogie sur la question de l'économie circulaire maintenant. Parce que sur le moyen terme et sur le long terme, c'est de toute façon gagnant ».
Concrètement, RTE recycle actuellement 80 % de l'acier de ses pylônes, annonce le dirigeant, en témoignage de l’engagement de l’entreprise envers l'économie circulaire. Mais les défis liés au recyclage et au réemploi de la matière sont encore très présents, comme l’explique notre invité dans le podcast.
Séparer et récupérer l'acier et l'aluminium des câbles aériens, ou le cuivre des câbles souterrains, sont des opérations complexes qui se heurtent à la nécessité de conserver les propriétés spécifiques de chaque métal, comme la conductivité et la résistance mécanique. Cette dernière est particulièrement critique pour l'aluminium, qui possède une faible résistance naturelle.
Toutefois, Xavier Piechaczyk admet que l'idéal de récupérer 100 % pour une réutilisation interne n'est pas immédiatement réalisable. « Ce qui compte, c'est finalement qu'on puisse garantir une forme de réemploi universel de notre propre infrastructure. », souligne-t-il.
Le mot de la fin : construire ensemble un avenir durable
Xavier Piechaczyk nous rappelle que la transition vers un système énergétique durable et des chaînes de valeur plus circulaires est un voyage commun qui requiert l'engagement de tous :
« Je crois que dans le monde, nous sommes parmi les mieux placés parce que nous combinons une sorte de maturité et de capacité intellectuelle et technologique. Tout ça dans une démocratie, et je ne crois pas qu'il y ait beaucoup d'endroits dans le monde qui arrivent à cumuler autant de qualités que celles que nous avons en Europe. »
[🗞️ Échos circulaires] Dernières nouvelles de l’éco-sphère
Si vous les avez manquées, voici quelques nouvelles de l’industrie circulaire :
Bilans, analyses et études prospectives RTE : pour prolonger votre réflexion sur le sujet de la transition énergétique, vous pouvez vous familiariser avec la littérature RTE. Un incontournable.
Sandrine Cathelat éclaire les défis de l'économie circulaire au salon Global Industrie 2024 : peut-on allier économie circulaire et performance ? Malgré un engouement croissant pour les produits remanufacturés, le marché peine encore à valoriser pleinement des produits considérés comme « d'occasion ».
Sandrine Cathelat, consultant en transformation circulaire chez OPEO, met en lumière les blocages culturels et commerciaux à l'adoption de pratiques circulaires, mais aussi, les progrès réalisés par les industriels.
… aux côtés d’Antoine Chalaux, Directeur des opérations de ROSI et Régis Dando, fondateur de Revalue Systems. Un échange animée par Aurélien Gohier, co-fondateur de Circular4Good.
Découvrez Tumulte, le jeu innovant pour préparer votre entreprise aux crises : en collaboration avec les cabinets Utopies et OPEO, la Métropole de Lyon lance Tumulte, un jeu de stratégie conçu pour aider les entreprises à anticiper et à gérer les crises potentielles (nouvelles réglementations, pénuries de matières premières, crises de réputation…).
Simple et rapide, ce jeu de plateau d’une quarantaine de cartes offre aux dirigeants un moyen efficace de repenser leurs pratiques et rendre robuste leurs chaînes de valeur.
Nouveau regard sur la low-tech avec Perspectives low-tech de Quentin Mateus et Gauthier Roussilhe : publié par les Éditions Divergences, Perspectives low-tech. Comment vivre, faire et s’organiser autrement ? explore la low-tech comme une révolution nécessaire pour repenser notre rapport à la technologie dans un monde aux ressources limitées. Un appel à un avenir technologique plus convivial et respectueux de l'environnement !
« Le circulaire, pour moi, c'est l'anti-lean » : cette phrase d'Esther Finidori, Vice-présidente Stratégie chez Schneider Electric France, relevée dans notre dernière newsletter, a généré des échanges animés sur Linkedin. Vous souhaitez apporter votre pierre à l’édifice ?
OPEO inaugure une filiale à Lausanne pour renforcer l'innovation suisse : après 10 ans de collaborations fructueuses, l’entreprise cofondatrice de Circular4Good inaugure sa première filiale internationale à Lausanne. Celle-ci a pour ambition de booster l'innovation et la modernisation des entreprises suisses tout en minimisant l'empreinte écologique et en promouvant des pratiques industrielles plus durables.
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